Il n’y a pas
de petits règnes : il n’y a que de petits rois. C’est le cas de Charles
IX, entré dans la famille assez peu enviable des souverains les plus haïs par
leur peuple après avoir ordonné le massacre de milliers de protestants pendant
la Saint-Barthélémy. Les exigences du devoir… et aussi une certaine incapacité
à résister aux volontés d’une marâtre cruelle et manipulatrice, Catherine de
Médicis herself, qui aurait pu servir
de modèle pour bon nombre de contes de fées présentant ce genre de femelles
castratrices. Le pauvre Charles, face à une clique familiale digne des mafias
les plus sanglantes, ne fait pas le poids : quelques mois après cette nuit
d’horreur qui restera dans l’Histoire, il meurt misérablement, affaibli par ses
crises de démence, et peut-être le remords… Décédé à l’âge de vingt-quatre ans,
il aura cependant eu l’occasion d’affamer son peuple, puis de l’empoisonner
(certes involontairement : qui aurait pu prévoir que cette bande de morfales
confondrait brins de muguet et salade verte ?) tout en fabricant de la
fausse monnaie pour renflouer le trésor royal désespérément vide. Pas si mal
pour un blanc-bec qui a toujours vécu dans l’ombre de son frère, le cynique et
glacial Henri III, insupportable chouchou de la Médicis !
Après Je, François Villon et Le Montespan, Jean Teulé revient avec
son nouveau récit historique, pastiche hilarant et plein de verve dans lequel
Charly 9 terrorise la cour en chassant le cerf dans les couloirs du Louvre,
désespère Ronsard par son mépris pour l’alexandrin, trousse vigoureusement sa
maîtresse et impose le pâté d’alouettes comme plat national. Entre chaque
épisode de folie, son crime épouvantable revient le hanter et le précipite vers
la mort, une mort qu’il appelle autant qu’il fuit, en jouet misérable d’un
pouvoir politique qui le dépasse.
Salut à toi, Ionesco !
Soyons
honnêtes : la lecture de Charly 9 ne nous apprend rien de plus, sur cette
sombre période, que ce qu’on peut trouver dans tous les bons livres abordant le
sujet. Si Jean Teulé est fanatique d’histoire, il ne se présente pas comme un
chercheur, mais plutôt comme un trublion de talent qui n’hésite pas à semer le
désordre dans les tableaux les plus figés. Ainsi, ceux qui auront gardé en tête
les compositions esthétiques de Chéreau (La
Reine Margot, 1994) risquent d’y perdre leur Dumas : dans cette
nouvelle farce teuléenne, Marguerite de Valois est une adolescente gothique et
rondouillarde (Isabelle Adjani, après une cure de loukoums), Henri de Navarre,
un sympathique second rôle, et la figure romantique de La Môle, à peine un
figurant. Ici, le personnage central, essentiel, véritable noyau autour duquel tourbillonne
la comédie du pouvoir, c’est Charly, et personne d’autre. Personne ? Voir…
Si le massacre de la Saint-Barthélémy n’est jamais décrit formellement dans le
livre, il est le costume nauséabond (aussi embarrassant qu’une camisole) qui
collera à la peau de Charles tout au long de sa brève existence. Seule et
unique décision d’importance qu’il prendra jamais en tant que monarque, et qui
fera, pour lui, rimer à jamais « pouvoir » avec « mort ».
Face à ce crime immense, tout le reste devient une farce, enchevêtrement de
plaisirs, d’obligations qui tournent au grotesque, de conversations inutiles… C’est
comme si, en choisissant de sacrifier à la raison d’Etat ces milliers de vies
protestantes, Charly 9 avait tout dit en une seule fois sur la fonction
politique, la volonté souveraine, la philosophie du pouvoir.
Que lui
reste-t-il alors ? Comment occupera-t-il les quelques mois qui sépareront
le 24 août 1572 du jour de sa mort, survenue le 30 mai 1574 ? La vision de
Jean Teulé est d’une radicale justesse : en une succession de tableaux
tragi-comiques, il nous décrit un Charles IX situé quelque part entre Ubu Roi
et ses héneaurmités, et le Bérenger 1er de Ionesco. Face au spectre
de la mort (celle qu’il a causé, et celle qui le guette), Charly 9 se précipite
dans une valse pathétique faite d’inutiles gesticulations, dansée par lui seul
au milieu d’une cour de fantômes en devenir. Catherine de Médicis elle-même y
perd de sa superbe, toute dévouée à la gloire d’une dynastie moribonde, sur le
point de céder la place à l’illustre famille des Bourbons.
Avec Charly 9, Jean Teulé nous fait la
talentueuse démonstration d’une Histoire génératrice de l’inutile, de
l’absurde, de l’ubuesque. En bon héritier de Ionesco, Jarry ou Beckett, son
récit est à la fois hilarant et désespéré, d’une tristesse qui ne peut que
prêter à rire… Le surnom que Teulé utilise pour baptiser ce souverain aussi cruel
que misérable nous ramène invariablement à l’universalité des terreurs dont il
est la proie. Nous sommes tous des Charly 9.
Tout est dit! Un livre à dévorer sans modération! Je le conseille tout particulièrement à ceux qui ont eu la chance de vivre l'épopée NihilObstat: joueurs et orgas!
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