jeudi 29 mai 2014

El-Levir, de Alain Damasio et Philippe Aureille

Publiée en 2009 aux éditions Organic, une petite merveille de conte graphique où le plus grand livre s’écrit dans les cieux…

La vie et rien d’autre


Pas facile de résumer en quelques lignes cette nouvelle pourtant courte, aussi éphémère que la vie elle-même. On pourrait évoquer El-Levir sous la forme de règles du jeu : Dans un monde ressemblant étrangement au nôtre, mais qui pourrait se situer, soit mille ans dans le futur, soit mille ans dans le passé, El-Levir est le plus grand scribe de son temps. Il réunit ainsi les plus merveilleux talents de calligraphe, et le savoir livresque le plus profond. Il est donc logiquement désigné pour accomplir la plus formidable mission qui puisse être confié à un savant de sa catégorie : Ecrire le plus grand livre de tous les temps, et mourir.

La rédaction du Livre obéit en effet à des règles extraordinaires : chaque mot tracé devra voir ses dimensions doubler par rapport au mot précédent. D’un mot à un autre, le support ne peut jamais être le même. L’écrivain devra rédiger sous la dictée de « valets de matière » (en fonction du support choisi) et oubliera au fur et à mesure les mots qu’il aura tracés. Ainsi le scribe ne pourra jamais connaître la globalité du plus grand Livre de tous les temps. En fait de livre, il s’agit d’ailleurs d’un poème, dont la première phrase sera, sous une forme ou une autre, la dernière.

El-Levir a été choisi pour accomplir cette grande mission, qui sera la dernière de sa vie. Des dizaines de scribes ont essayé avant lui et s’y sont rompu les os. El-Levir réussira-t-il ? C’est là que la force de la légende offre à ce livre unique et universel, comme une histoire par-dessus l’Histoire. Le Livre, après tout, n’est rien d’autre que la vie : bref, éclatant, monumental et cruel.

Damasio et personne d’autre


Qui d’autre qu’Alain Damasio aurait pu raconter, avec une telle économie de mots et pourtant un tel lyrisme, la plus grande histoire de tous les temps ? 5 ans après La Horde, on retrouve certains des thèmes les plus chers à l’auteur : la vie, bien sûr, qui dans son second roman adoptait la forme plus subtile du vif, les éléments, vus comme les composantes d’un même organisme, mais prêtant cette fois plus volontiers leur secours au plus grand poète du monde. Le verbe, intimement lié aux deux premiers thèmes. Tous combinés ensemble, Vie, Nature et verbe, forment cette explosion extraordinaire, ce bref éclat de joie primordiale, une flamme d’énergie pure.

El-Levir aurait tout aussi bien pu être Caracole (bien plus que Sov, si vous voulez mon avis) : tous deux ont eu cette vie un peu mystérieuse qui s’efface derrière l’œuvre, tous deux sont les plus talentueux, et les moins en quête de gloire. Une humilité profonde les habite, et ce besoin perpétuel de représenter la vie, à tel point qu’ils en oublient la leur. La Vie les dévore, les métamorphose, les dilue, et pourtant, ils sont toujours là.

Comme pour La Horde du contrevent, on n’entre d’ailleurs pas si aisément dans ce récit-là. Mais, et c’est la magie du style Damasio, ce phrasé étrange, parfois alambiqué, déconstruit, cette logique si particulière s’insinue en nous après quelques pages, et l’on plonge, comme si on n’avait jamais peiné. Pour se réveiller à la fin de l’histoire, dont je ne vous révélerai évidemment pas le dénouement, bande de petits malins.

L’écho de Philippe Aureille


Non, ce titre n’est pas un jeu de mot de mauvais goût. Le travail de graphiste et d’illustrateur de Philippe Aureille fonctionne un peu à la manière d’une onde de choc qui aurait pris naissance avec les mots de Damasio. Lettrages épais, textures brutes, un effet proche du graffiti urbain, comme si, pour la postérité de la légende, El-Levir devait se retrouver gravé dans le béton. Décalage étrange : là où Damasio nous parle des forces de la nature et de l’inspiration que nous offre chaque jour la vie dans ce qu’elle a de plus pur, Aureille gratte les surfaces, imprime sur le rugueux, le sanglant. On croirait qu’il cherche à imprimer en nous les souffrances du scribe. Son travail, juxtaposé au verbe « damasien », offre un résultat fascinant, au sens littéral. Et fort logique, d’ailleurs, puisque l’artiste a évité l’écueil primordial de souligner les propos de l’écrivain à grand renfort d’aquarelles et d’estampes, le premier degré chez Damasio. Avec Philippe Aureille, merci à lui, on creuse. On s’enfonce, et on s’écorche.

Et pourtant, on s'envole. Allez comprendre !




jeudi 22 mai 2014

Little Bird, de Craig Johnson

Je vous en parlais il y a quelques semaines, Craig Johnson est mon coup de cœur n°1 du moment. Et puisqu’il faut bien commencer par le début, c’est du premier bouquin de la série des Longmire que je vais vous parler aujourd’hui… 

 Bienvenue dans le comté d’Absaroka, Wyoming


Veuf depuis quelques années, le shérif Walt Longmire aspire à une retraite paisible après 24 ans de bons et loyaux services dans le comté d’Absaroka. Un lieu qu’il connaît par cœur, dans lequel tous les visages ont un nom, une histoire ou une anecdote. Seulement voilà, quand le jeune Cody Pritchard est retrouvé mort après une indigestion de plomb, c’est une sale affaire qui remonte à la surface. Pritchard avait en effet participé, avec trois de ses sympathiques camarades, au viol de la petite Little Bird, jeune cheyenne atteinte du syndrome d’alcoolisme fœtal. Les quatre gentlemen avaient échappé à la prison au grand dam de Longmire, qui va devoir aujourd’hui comprendre qui veut leur faire prendre perpète, d’une façon beaucoup plus radicale.

Et comme si ça ne suffisait pas, on annonce un blizzard d’ampleur apocalyptique.

La revanche des Cheyennes et des obèses


Avec son mètre quatre-vingt-dix et son allure de gros nounours, Longmire se trouve moche et insignifiant. Il est comme ça, Walt, il pousse tellement l’autodérision que ça finit par ressembler bigrement à de l’auto-apitoiement. Et pourtant, permettez-moi l’expression, le bonhomme est un véritable aimant à gonzesses. Vous verrez, ça se vérifie quasiment à chaque opus de ses aventures.

Dans Little Bird, on découvre un Longmire vaguement dépressif, encore en deuil après la disparition de son épouse bien-aimée, délaissé par sa fille devenue super avocate dans la grande ville. Heureusement pour lui, il ne manque pas de très bons copains pour lui remonter le moral. A commencer par Standing Bear, autre géant et représentant charismatique de la nation Cheyenne à Absaroka. Standing Bear tient un bar fréquenté aussi bien par les blancs que par les indiens, et reste fidèle à une philosophie qui mêle facilement le lyrisme aux coups de latte. C’est aussi, comme on le découvre au fil du roman, le bras droit non officiel de Walt Longmire, surtout lorsque celui-ci doit mener ses enquêtes dans la réserve toute proche.

Il y a aussi Vic, la très belle et très ordurière adjointe, future héritière de l’étoile de shérif. Une petite nénette extrêmement douée qui peine à prononcer une phrase sans y adjoindre un « putain-merde-fait-chier » bien senti.

D’autres personnages viennent compléter cette galerie pittoresque, incroyablement humaine, autour d’une enquête qui soulève la question douloureuse de l’intégration des indiens dans un monde qui s’est si soigneusement appliqué à les faire disparaître, et où les mentalités du far west ne sont jamais longues à réapparaître. On découvre ainsi (sujet plutôt exotique pour les Français que nous sommes) la réalité indienne d’aujourd’hui, ce mélange subtil entre coutumes ancestrales, rancœurs de réprouvés, et désir d’avancer avec l’histoire. Pour ma part, je ne connaissais pas le dixième de ce que j’ai pu apprendre en lisant Craig Johnson, et ce seul élément mérite qu’on se penche sur ses histoires.

Humour, meurtre et grands espaces


Le style de Craig Johnson, quant à lui, est parfaitement inimitable. Vous allez vous poiler, pleurer, rester bouche bée face aux descriptions majestueuses de la région et à l’évocation des forces de la nature, omniprésentes dans ce premier titre de la série. A cet égard, la scène épique et onirique du blizzard est un merveilleux exemple du lyrisme à la Johnson.

Mais, oui, aussi, vous allez rire. Tout le temps, en fait. Parce que Craig Johnson est doté de ce genre d’humour aussi vache qu’affectueux qui vise juste à tous les coups. Les dialogues entre Walt Longmire et Standing Bear n’en sont qu’un exemple parmi tant d’autres.

Et puis, vous allez pleurer, un petit peu. L’histoire de Little Bird est une tragédie, abordée très sobrement, avec la délicatesse qui caractérise le héros, et donc d’autant plus émouvante.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, Little Bird reste mon préféré de la série, qui contient pourtant nombre de trésors. Après Little Bird suivent en effet Le Camp des Morts, L’Indien Blanc, Enfant de poussières, Dark Horse et le petit dernier, Molosses, tous publiés dans l’excellente maison d’édition Gallmeister, dont je vous conseille la découverte du catalogue. Pour célébrer mon anniversaire, ma maman, qui est une femme bien, m’a promis de m’offrir les deux derniers. Il se pourrait donc que je vous en parle sous peu.

Cerise sur le gâteau, on parle de Craig Johnson comme d’un écrivain extrêmement sympathique, assez semblable, au final, à son héros, aussi bien au physique qu’au moral. Il s’est déplacé plusieurs fois en France, ne ratez pas sa prochaine visite !

Craig Johnson sur la toile

Pour ceux qui voudraient en apprendre plus sur le génial auteur de Little Bird, Le Camp des Morts, et plus récemment Dark Horse et Molosses, je conseille l'excellente rubrique livre de Gilles Heuré sur le site Télérama.fr, qui justement parlait il y a peu du dernier bouquin traduit de Craig Johnson.
(Gilles Heuré est également l'auteur d'un excellent dossier sur l'histoire du spiritisme et son influence sur la science, la littérature, le cinéma et la photographie. Documenté et passionnant !)

Si vous avez envie de savoir ce que donnerait un Longmire en chair et en os, vous pouvez toujours jeter un oeil sur l'article Wikipédia parlant de la série, adaptée du bouquin. Deux saisons déjà disponibles aux Etats-Unis, une troisième en route.

A bientôt !

jeudi 15 mai 2014

La Dernière Séance, de Larry McMurtry

Grand classique du roman américain du 20e siècle : La Dernière Séance de Larry McMurtry offre l’un des regards les plus lucides de la littérature sur la fin de l’adolescence. 

 

Séance de rattrapage


Pour ceux qui n’auraient jamais, ni vu le film de Peter Bogdanovitch (avec Timothy Bottoms et Jeff Bridges, 1971), ni lu ce grand roman, il est vrai assez peu connu en France et publié en 1966 aux Etats-Unis sous le titre The Last Picture Show, petit rappel de La Dernière Séance :

Larry McMurtry raconte une histoire simple, ou plutôt, plusieurs histoires. C’est une fois superposées qu’elles prennent évidemment (sinon le roman ne serait pas si bon) tout leur sens.

C’est l’histoire de Sonny et Duane, deux adolescents sur le point de quitter le lycée et d’entrer dans le monde des adultes, qui papillonnent en attendant entre leurs petits jobs sur la plate-forme pétrolière, et leur séances de cinéma au drive-in où l’on fait tout, sauf admirer les stars.

C’est l’histoire d’un cinéma de plein air sur le point d’éteindre pour toujours ses projecteurs.

C’est l’histoire d’une bande de gamins qui ne rêvent que de séduire les plus belles filles, et de les emporter loin de ce trou perdu qu’ils n’ont jamais quitté : la petite bourgade de Thalia, au fin fond du Texas.

C’est l’histoire d’un garçon un peu simplet qui nous rappelle, tragiquement, le Lennie Small des Souris et des hommes.

C’est l’histoire d’un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme « trop vieille pour lui ».

C’est l’histoire de deux vagues vedettes locales du football américain (Sonny et Duane, toujours) qui découvrent que la vraie vie se fout de leur gloriole.

Sexe, fantasmes et illusions perdues


Évacuons tout de suite la question de l’adolescence éternelle, ou plutôt, l’idée que la jeunesse d’hier n’est guère différente de celle d’aujourd’hui. A force d’être brandie comme un étendard, l’idée a singulièrement perdu de son originalité. Mais, oui, c’est vrai, on retrouve chez McMurtry les mêmes tourments que ceux que l’on a pu vivre au lycée (ou peut-être au collège, puisqu’il paraît que nous mûrissons plus vite, à moins que…). A savoir : la nécessité de perdre sa virginité au plus vite, si possible avec un partenaire dont on n’ait pas à rougir, mais à défaut…

Oui, résumer l’adolescence à une question de sexe, c’est mettre de côté la complexité profonde du passage de l’enfance à l’âge adulte. Et, justement, dans Larry McMurtry, il n’est pas seulement question de sexe, même s’il constitue « la première couche » du roman.

Dans cette petite ville puritaine du sud des États-Unis, perdue au milieu du désert, le sexe, vu par les ados, est un instrument de provocation et de rébellion diablement séduisant. On s’échappe de la réalité et des conventions sociales à coup de séances de pelotage au drive-in du coin, on fait des virées dans la ferme voisine pour se soulager dans le bétail (véridique !), sans s’avouer qu’au fond, on ne fait que reproduire une sorte de rituel conduit, sous d’autres formes, depuis des générations.

Mais nous sommes dans les années 1950 : Le plus petit acte de révolte évoque immanquablement les premiers germes d’une société nouvelle, et pas seulement chez les jeunes…

Il y a aussi, chez l’auteur, l’analyse d’une jeunesse hésitante, aussi bien esclave de son image que des codes de la société. Des gamins qui, à 17 ans, vivent déjà sur leur réputation, et l’entretiennent en rêvant de séduire les plus jolies filles. Il y a aussi, évidemment, la trouille profonde de mettre un pied hors de leur trou perdu : hors d’Althea, ils ne seront plus rien.

Et puis, enfin, il y a les adultes, et c’est la grande force de McMurtry de ne pas s’enfermer dans un tableau typiquement adolescent, car les personnages plus âgés sont au moins aussi profonds et passionnants.

Trou perdu, types paumés


Les « vieux » ne sont pas épargnés dans cette tranche de vie. Ils sont parfois brutaux, comme le mari de Ruth, un prof de sport plutôt bas de plafond qui tient son épouse sous sa coupe. Parfois pitoyables et magnifiques, comme Ruth, premier véritable amour de Sonny, qui met tout son désespoir dans sa romance avec le jeune homme. On rencontre aussi la mère alcoolique et désabusée de Jacy, riche petite amie de Duane et insupportable gamine gâtée.

La galerie de portraits pourrait se poursuivre encore quelques pages, entre Sam Le Lion, propriétaire du Drive-in, et les multiples personnages de ce récit pourtant court : un concentré de vies coulant grain après grain, comme le sable du désert.

PS : La suite de l’excellent Dernière Séance, c’est Texasville, que je vous recommande avec autant de conviction : Même lieu, mêmes personnages, trente ans plus tard… Les ados sont à présent en pleine crise de la quarantaine. La boucle est bouclée ?

Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski

C’est l’histoire d’un salaud qui tombe sur plus salaud que lui…

Parce qu’une quat’ de couv’ vaut parfois mieux qu’un long discours 

 

Gagner une guerre, c'est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d'orgueil et d'ambition, le coup de grâce infligé à l'ennemi n'est qu'un amuse-gueule. C'est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l'art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c'est au sein de la famille qu'on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c'est plutôt mon rayon...

Une fois n’est pas coutume, je vous livre telle quelle la quatrième de couverture du roman, publié tout d’abord chez les Moutons électriques avant d’être repris en poche chez Gallimard. J’ai acheté le bouquin pour deux raisons : le titre, qui m’intriguait et dont j’ai adoré la « petite musique », et cette quatrième de couverture, qui pour moi n’annonçait que du très bon.

Un peu d’histoire


Je vais faire court, pour ne pas dénaturer cette intrigue incroyablement riche, complexe, bourrée de rebondissements. Nous sommes dans la florissante Cité-Etat maritime de Ciudalia, régie par un sénat extrêmement puissant, et en guerre avec le Royaume de Ressine depuis trop longtemps. Or, la guerre, Ciudalia vient de la gagner, grâce à une bataille navale épique menée au Cap Scybilos.

Avec cette guerre, le podestat Leonide Ducatore est révélé comme l’homme providentiel, le sénateur sauveur de Ciudalia, sur le point d’obtenir les pleins pouvoirs. Et ce n’est pas un hasard… Car durant cette guerre, une formidable partie d’échecs s’est jouée, non seulement avec l’ennemi, mais aussi contre les autres membres du sénat. L’intelligence de Ducatore a été d’utiliser au mieux tous ses pions, y compris les moins respectables…

Don Benevuto (personnage déjà évoqué dans un précédent recueil de nouvelles, Janua Vera), est l’un de ces pions : assassin de métier, membre de la Ligue des Chuchoteurs, et ordure de première, au service de Ducatore pour le meilleur et pour le pire. Ne vous en faites pas, le pire arrivera très vite…

Michel Audiard chez les Borgia


Tenir une histoire forte est loin d’être suffisant : Jean-Philippe Jaworski l’a bien compris, lui qui use, pour ce superbe premier roman, d’une langue digne des Tontons flingueurs. Car Don Benvenuto, narrateur de l’histoire, n’est pas un courtisan, loin de là. Elevé dans les quartiers populaires et "naviguant" (façon de parler, vu le mal de mer dont est victime le bonhomme) avec les pires canailles de Ciudalia, il en a conservé la verve argotique, la gouaille fleurie, et un certain goût pour la métaphore brutale et lyrique (oui, les deux termes ne sont pas forcément opposés, pas chez Jaworski en tout cas).

Le résultat ? Tous les territoires explorés par Don Benvenuto au cours de ses mésaventures nous apparaissent exactement comme si on y était. La majestueuse Ciudalia, l’exotique royaume de Ressine, les terres du nord, de plus en plus glaciales… On pense à la Rome antique, à l’empire Ottoman, aux celtes et aux royaumes viking. Ce patchwork d’images et de références est convié dans les pages de Gagner la guerre, non sans succès : on obtient au final un monde riche, contrasté mais cohérent, pour avoir fait l’objet d’un véritable travail de dentellière.De rues étroites en marécages boueux, de palais persans en bourgades pluvieuses, l'incroyable puissance d'évocation de l'auteur, présente à chaque ligne, transforme le lecteur en "voyageur sans bagages".

Mais, attention, l’histoire est on ne peut plus cruelle. Si la série Trône de fer vous fait frémir, avec Gagner la guerre, vous risquez très vite d’avoir la nausée. Car Jaworski ne nous épargne pas, non plus que son héros, lancé à pleine vapeur dans ce petit jeu de massacre. Gare aux âmes sensibles : Ce livre va vous offrir une nouvelle expérience de la douleur.

On retrouve évidemment les influences de l’auteur du jeu de rôle Te Deum pour un massacre (basé cette fois sur les guerres de religion). Quand il s’agit de faire couler le sang, Jaworski a toujours une longueur d’avance.

En résumé : si vous n’avez pas peur de vous salir les mains et de vous attacher à un salaud, si vous avez le cœur bien accroché et aimez l’humour noir, ce bouquin est pour vous. Et si vous avez également besoin de vibrer au rythme d’un style superbe, aussi épique que coloré, Gagner la guerre pourrait bien devenir votre livre de chevet pour un bon moment.

samedi 10 mai 2014

Les 5 auteurs que j’achète (en ce moment) les yeux fermés

Mes 5 auteurs incontournables du moment, ceux qui pourraient écrire un livre de cuisine, ou un manuel de bricolage, et qui me feraient quand même dégainer mon portefeuille…

Certaines listes doivent être régulièrement remises à jour. Il y a quinze, vingt ans, j’aurais répondu du tac-au-tac : Daniel Pennac, Stephen King, Robert Merle, et peut-être Colette et Zola (j’étais jeune et encore impressionnable). Il y a dix ans : W. Wilkie Collins, Jack London, James Ellroy, Terry Pratchett et Tom Sharpe. Voici les 5 auteurs que je vénère aujourd’hui, et rendez-vous dans 5 ans (ou dans six mois) !


1. Craig Johnson


Si vous n’avez pas encore fait connaissance avec le shérif Longmire, foncez ! C’est l’un des personnages les plus attachants de la littérature américaine contemporaine, qui, pour ma part, m’a fait penser à Benjamin Malaussène, format XXL (Longmire se plaint constamment d’avoir besoin de maigrir). Les romans de Craig Johnson nous font respirer le bon air du Wyoming. Vous y rencontrerez la sympathique population locale, ses fermiers, ses cheyennes, et aussi ses meurtriers… Du policier comme je les aime : profond, souvent épique, très humain, et extrêmement drôle. Foncez, vous dis-je !

2. Donald Westlake


Evidemment, puisque le bonhomme a eu le mauvais goût de casser sa pipe il y a quelques années, la réserve d’inédits et de manuscrits de fond de tiroir risque de s’épuiser trop rapidement. Tant pis, on relira les vieux titres ! Tout, chez Westlake, est excellent, son œuvre au noir comme les mésaventures de Dortmunder. Si vous n’avez pas lu Le Couperet, Drôles de frères ou Mémoire Morte, réjouissez-vous ! La mort de Westlake ne vous accablera pas tout de suite. D’ici quelques mois, en revanche, vous risquez de vous retrouver fort démunis, tout comme moi actuellement. Heureusement, ces braves éditeurs viennent de nous dévoiler un nouvel épisode du cambrioleur calamiteux, hourrah ! Ça s’appelle Top Réalité, et je le commence tout juste. On en reparle bientôt, promis, juré !

3. Alain Damasio


Oui. Je sais, je ne suis pas la seule. Je sais, crier au génie à la lecture de La Horde du contrevent, c’est devenu complètement cliché chez les amateurs de SF. Je sais, en plus, le bonhomme publiant un livre toutes les éclipses solaires totales, on ne prend pas grand risque à investir dans tout ce qu’il produit. Je sais, La Zone du dehors n’était tout de même pas aussi brillant, mais bon, c’était son premier, il fallait le laisser s’échauffer un peu. Cinq ans (ou à peu près) après avoir lu La Horde, je me pose toujours pas mal de questions. Du genre : c’est vraiment possible d’écrire comme ça ? Ou encore : Mais en fait, c’est quoi, le vif ? Ceux qui possèdent la réponse à la seconde question seraient bien inspirés de m’envoyer un petit message.

4. Antoine Bello


Encore un Français qui a de la ressource (comme quoi, tout n’est pas perdu au pays de Molière). Journaliste et auteur des excellents Falsificateurs et Eclaireurs, de quelques nouvelles sacrément réussies, et d’autres œuvres que je n’ai pas encore eu le temps de lire, mais qui font partie de ma « to read list », Antoine Bello combine avec bonheur génie de l’intrigue et intérêt documentaire. Ne tardez plus à le découvrir, ce type est vraiment très, très fort.

5. Jean-Philippe Jaworski ou Louis Bayard ?


Dilemme. Car, évidemment, il m’était impossible de conduire une bête liste à son terme sans bafouiller dans la dernière ligne droite.

Il se trouve que ces deux auteurs me plaisent de manière égale, mais que, pour des raisons différentes, il m’est difficile de les départager. Commençons par Jaworski, après tout, cocorico. Jaworski est effectivement français, comme son nom l’indique peu. Il est entre autres l’auteur du grandiose Gagner la guerre, un véritable bijou de verve et de cruauté racontant les aventures d’un assassin naviguant dans les hautes sphères du pouvoir, dans un univers Renaissance-fantastique qui n’est pas sans rappeler Trône de fer, avec une touche de Borgia. Le héros est laid, brutal, déloyal, sans pitié et sans guère de scrupules. Vous allez l’adorer, je vous connais. Le problème ? Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur, en vertu de ce fichu manque de temps qui m’empêche d’engranger la bibliographie complète de mes coups de cœur. Il a publié de nombreuses nouvelles, son dernier roman, Même pas mort est sorti en 2013 et devrait être suivi de deux autres dans le cycle des Rois du Monde, et donc, je ne peux pas savoir si le bonhomme a transformé son magnifique essai (Gagner la guerre est son premier roman).

Quant à Louis Bayard, j’ai déjà eu l’honneur d’évoquer cet amoureux du roman historique, incroyablement doué, qui a lui aussi démarré sa carrière dans l’écriture par le journalisme (Cf : L’héritage Dickens dans « Polars et thrillers »). Si vous ne l’avez pas encore lu, c’est que j’ai raté mon coup, tant pis pour moi. Mais je vous jure que vous manquez quelque chose. Le problème ? Les éditeurs français semblent bouder le descendant du Chevalier Bayard (véridique !). Je sais que le bonhomme a publié aux Etats-Unis deux nouveaux romans, le premier situé durant la période élisabéthaine, le second racontant une aventure dont Roosevelt serait le héros, en 1914. Le Cherche-Midi s’est-il désengagé de ce petit prodige ? Toujours est-il que je cherche, désespérément, les signes d’une prochaine publication de Bayard en France. Avec dans l’idée d’envoyer peut-être un mail de menaces à son éditeur français, pour lui montrer comme je gère fabuleusement bien la frustration.

Erratum : Je viens de me rendre compte que l'avant-dernier opus de Louis Bayard était disponible en France depuis octobre 2013 ! Honte à moi (et honte aux libraires qui m'ont trahie !) ! Bouquin commandé, ça s'appelle L'Ecole de la nuit, et je vous en reparle très, très vite.