samedi 18 février 2012

Charly 9, Jean Teulé

Il n’y a pas de petits règnes : il n’y a que de petits rois. C’est le cas de Charles IX, entré dans la famille assez peu enviable des souverains les plus haïs par leur peuple après avoir ordonné le massacre de milliers de protestants pendant la Saint-Barthélémy. Les exigences du devoir… et aussi une certaine incapacité à résister aux volontés d’une marâtre cruelle et manipulatrice, Catherine de Médicis herself, qui aurait pu servir de modèle pour bon nombre de contes de fées présentant ce genre de femelles castratrices. Le pauvre Charles, face à une clique familiale digne des mafias les plus sanglantes, ne fait pas le poids : quelques mois après cette nuit d’horreur qui restera dans l’Histoire, il meurt misérablement, affaibli par ses crises de démence, et peut-être le remords… Décédé à l’âge de vingt-quatre ans, il aura cependant eu l’occasion d’affamer son peuple, puis de l’empoisonner (certes involontairement : qui aurait pu prévoir que cette bande de morfales confondrait brins de muguet et salade verte ?) tout en fabricant de la fausse monnaie pour renflouer le trésor royal désespérément vide. Pas si mal pour un blanc-bec qui a toujours vécu dans l’ombre de son frère, le cynique et glacial Henri III, insupportable chouchou de la Médicis !
Après Je, François Villon et Le Montespan, Jean Teulé revient avec son nouveau récit historique, pastiche hilarant et plein de verve dans lequel Charly 9 terrorise la cour en chassant le cerf dans les couloirs du Louvre, désespère Ronsard par son mépris pour l’alexandrin, trousse vigoureusement sa maîtresse et impose le pâté d’alouettes comme plat national. Entre chaque épisode de folie, son crime épouvantable revient le hanter et le précipite vers la mort, une mort qu’il appelle autant qu’il fuit, en jouet misérable d’un pouvoir politique qui le dépasse.


Salut à toi, Ionesco !

Soyons honnêtes : la lecture de Charly 9 ne nous apprend rien de plus, sur cette sombre période, que ce qu’on peut trouver dans tous les bons livres abordant le sujet. Si Jean Teulé est fanatique d’histoire, il ne se présente pas comme un chercheur, mais plutôt comme un trublion de talent qui n’hésite pas à semer le désordre dans les tableaux les plus figés. Ainsi, ceux qui auront gardé en tête les compositions esthétiques de Chéreau (La Reine Margot, 1994) risquent d’y perdre leur Dumas : dans cette nouvelle farce teuléenne, Marguerite de Valois est une adolescente gothique et rondouillarde (Isabelle Adjani, après une cure de loukoums), Henri de Navarre, un sympathique second rôle, et la figure romantique de La Môle, à peine un figurant. Ici, le personnage central, essentiel, véritable noyau autour duquel tourbillonne la comédie du pouvoir, c’est Charly, et personne d’autre. Personne ? Voir… Si le massacre de la Saint-Barthélémy n’est jamais décrit formellement dans le livre, il est le costume nauséabond (aussi embarrassant qu’une camisole) qui collera à la peau de Charles tout au long de sa brève existence. Seule et unique décision d’importance qu’il prendra jamais en tant que monarque, et qui fera, pour lui, rimer à jamais « pouvoir » avec « mort ». Face à ce crime immense, tout le reste devient une farce, enchevêtrement de plaisirs, d’obligations qui tournent au grotesque, de conversations inutiles… C’est comme si, en choisissant de sacrifier à la raison d’Etat ces milliers de vies protestantes, Charly 9 avait tout dit en une seule fois sur la fonction politique, la volonté souveraine, la philosophie du pouvoir.
Que lui reste-t-il alors ? Comment occupera-t-il les quelques mois qui sépareront le 24 août 1572 du jour de sa mort, survenue le 30 mai 1574 ? La vision de Jean Teulé est d’une radicale justesse : en une succession de tableaux tragi-comiques, il nous décrit un Charles IX situé quelque part entre Ubu Roi et ses héneaurmités, et le Bérenger 1er de Ionesco. Face au spectre de la mort (celle qu’il a causé, et celle qui le guette), Charly 9 se précipite dans une valse pathétique faite d’inutiles gesticulations, dansée par lui seul au milieu d’une cour de fantômes en devenir. Catherine de Médicis elle-même y perd de sa superbe, toute dévouée à la gloire d’une dynastie moribonde, sur le point de céder la place à l’illustre famille des Bourbons.
Avec Charly 9, Jean Teulé nous fait la talentueuse démonstration d’une Histoire génératrice de l’inutile, de l’absurde, de l’ubuesque. En bon héritier de Ionesco, Jarry ou Beckett, son récit est à la fois hilarant et désespéré, d’une tristesse qui ne peut que prêter à rire… Le surnom que Teulé utilise pour baptiser ce souverain aussi cruel que misérable nous ramène invariablement à l’universalité des terreurs dont il est la proie. Nous sommes tous des Charly 9.




Vacances hivernales



Il y a une quinzaine de jours, nous nous préparions (mon compagnon, nos deux enfants et moi) à partir en vacances dans le sud-ouest. Je ne quittais pas mon foyer sans appréhension : tenue éloignée de la plupart de nos moyens de communication modernes, il me serait sans doute impossible de poster le moindre article sur ce très jeune blogue. Aurais-je seulement le temps d’écrire la moindre ligne ? Ce silence soudain allait-il décourager mes premiers visiteurs, persuadés que le projet, faute de sérieux de la part de son créateur, était mort avant d’avoir un peu vécu ? Baste (comme on dit en Haute-Loire) ! A moi de prouver que ces pages sont bien vivantes, à peine mes valises rangées, je me remettrai au travail sans coup férir, avec de nouvelles idées, de nouveaux livres, une tripotée d’auteurs (méconnus ou non) à portraitiser, de la matière sous d’agréables formes, tenez bon, lecteurs ! Je reviendrai !
On excusera cette brusque poussée d’arrogance. J’ai bien conscience que Cartons Pleins ! (el blog) n’a pas encore gagné le titre de phare illuminant les ténèbres, loin s’en faut. Mais pour que le projet se poursuive, se développe et ait un jour la chance de ressembler un tant soit peu au mirage qui flotte dans ma caboche, il faut de l’ambition (et un peu d’humour…).
Bref. J’avais décidé de mettre ces deux semaines d’absence à profit en m’appliquant à lire certains auteurs que j’avais jusqu’ici, un peu hâtivement, relégués dans une sorte de purgatoire littéraire d’où je n’avais jamais été très impatiente de les en sortir. Jean-Christophe Grangé en faisait partie : après avoir lu l’un de ses best-sellers il y a environ deux ans, je l’ai directement envoyé dans un autre cercle des enfers où il cuit aujourd’hui tranquillement avec Mary Higgins Clark, Patricia Highsmith, Marc Lévy et Anna Gavalda (entre autres). La trilogie de Millenium, Laurent Gaudé et Delphine de Vigan continuent de flotter dans les eaux brumeuses du « je ne connais pas et n’ai pas envie de connaître ». La vie est une affaire de choix, et les bons bouquins sont déjà trop nombreux pour qu’on puisse tous les lire.
Pour quelques écrivains, cependant, j’ai toujours éprouvé un peu de remords. Chacune de mes razzias en librairies s’achèvent immanquablement par une petite pensée pour tous ceux, toutes celles, que je n’ai toujours pas choisis, non, pas cette fois, et dont on continuera à me parler sans qu’ils éveillent le moindre écho dans ma mémoire. Etrangement (j’entends déjà les hurlements d’effroi de certains), Maxime Chattam en faisait partie.
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Chattam est un auteur français élevé au bon grain américain, de longue date passionné par la psychologie criminelle (qu’il étudia fort consciencieusement), à tel point qu’il n’a pas résisté à nous faire profiter de son immense savoir en la matière en faisant publier quelques pavés de thrillers horrifiques qui ont rencontré un tel succès qu’on le décrit comme l’un des maîtres de la discipline. Soit. J’ai donc fait l’acquisition de La trilogie du mal, regroupant trois de ses œuvres les plus célèbres, et en ai commencé la lecture la veille de notre départ après avoir mis de côté bon nombre de mes a priori. Je ne ménagerai pas plus longtemps le suspense : j’ai tenu soixante pages. Soixante pages de souffrance, puisqu’il m’est apparu dès le premier paragraphe que M. Chattam, non content d’écrire avec les pieds, était un formidable créateur d’aphorismes arlequinesques, et de personnages tellement épatants, charismatiques et « beaux du dehors comme du dedans » qu’on était immédiatement pris du désir d’en adresser copie à Guillaume Musso pour inspirer son nouveau chef d’œuvre. Je serai bien incapable de vous raconter toute l’histoire élaborée par Chattam : peut-être était-elle excellente, certains critiques l’affirment. Il ne suffit pourtant pas de tenir une bonne intrigue pour en faire un bon roman, Bernard Werber et Pierre Bordage nous l’ont prouvé en de maintes reprises… (non, franchement… Le père de nos pères… vous plaisantez ?). Je suis pour ma part absolument incapable d’entrer dans une histoire, aussi passionnante fût-elle, si la qualité de son écriture n’est pas au moins équivalente. Il ne s’agit malheureusement pas d’une opinion tellement répandue, sinon certains écrivains de best-sellers ne seraient jamais sortis du caniveau…
Mon instinct m’avait tenu éloignée de Maxime Chattam pendant dix bonnes années : c’était un signe, j’aurais du y être plus attentive. Car la littérature est moins affaire de sentiment que d’intuition. Pas de pitié pour les auteurs ! Et pour les médiocres, pas de regret…
Après ma mésaventure Chattam, j’avais besoin d’un peu de réconfort : je l’ai trouvé avec l’excellent dernier manuscrit de Westlake, Mémoire Morte, dont je ne manquerai pas de vous parler dès que je l’aurai fini, ce qui n’est plus qu’une affaire de jours, à présent.

PS : je suis fermement décidée à ne plus établir de programme hebdomadaire. Je servirai dorénavant mes articles les uns après les autres, au rythme de mes lectures. Comme on dit dans les romans : « j’ai charge d’âme(s) ». Alors, patience !

Bonne année ?


Premier édito de ce blog nouveau-né, mais aussi premier édito de l'année... Faut-il céder à la coutume des voeux ? Vous souhaiter bonheur, santé, argent, amour, dans cet ordre ou dans un autre, avant même de vous connaître ? Car enfin, l'exercice est délicat : imaginons un instant qu'un jeune homme vienne se consoler ici (pourquoi pas ?) d'une rupture amoureuse... lui souhaiter l'amour, à celui-là... Et à l'ouvrier d'usine frappé par la crise, des stock-options ?
D'agréables lectures, alors ? Voilà qui colle à la thématique, et nous pourrions nous engouffrer : heureuses lectures à vous, mes amis, pluie de romans fameux, averse de merveilleuses nouvelles ! Gare... Vos goûts ne sont pas les miens, admettons-le une bonne fois. Or, la seule idée de souhaiter joyeuse lecture à un amateur de Marc Lévy me fait frissonner. Prions pour que Katherine Pancol sorte un nouveau chef-d'oeuvre ! Pour que Sollers nous illumine de son génie ! Pour que Marie-Sabine Roger nous concocte un autre couple improbable (un jeune footballeur et une vieille poétesse, un psychotique et un trader, un bocal de cornichons et une ex-miss France, ce ne sont pas les exemples qui manquent...) ! Non, non, soyons sérieux. Mieux vaut ne rien dire, et n'en penser pas moins. D'autant que cette année qui commence passe pour être la dernière.
En voilà un sujet d'étonnement ! Qu'une bande d'illuminés squatte les médias pour nous annoncer l'apocalypse selon Quetzacoatl, et je me surprends à ruminer... Je suis pourtant quelqu'un de raisonnable, correctement renseignée sur les raisons qui poussèrent les Mayas à envisager l'année 2012 comme la dernière de ce monde. D'où vient cette crainte absurde, alors, et ce besoin de lorgner sur les catalogues des derniers fabricants de bunkers anti-communistes ? Se pourrait-il que les annonciateurs de tragédies, les corbeaux et autres oracles neurasthéniques aient plus de chances d'emporter notre adhésion qu'un paisible chercheur multi-diplômé, un politicien optimiste ou notre gaillarde voisine de paller ? Notre raison se révolte, certes : qu'est-ce que c'est encore que ces prédictions fantaisistes ? Si un météorite devait heurter la planète, nous le saurions depuis longtemps ! Le réchauffement climatique deviendra un jour cataclismique, mais lentement, progressivement, pffffiou... ça ne se produira sans doute pas de notre vivant ! L'extinction de l'espèce humaine ? Allons donc, intelligents comme nous le sommes ! N'avons-nous pas survécu aux mammouths, à la peste bubonique, à la grippe espagnole, au SIDA ? Et cette station Mir, qui devait nous dégringoler sur le râble ? Cette éclipse de 1999, portail ouvert sur des hordes de démons ? C'est pas bientôt fini, ce catastrophisme hollywoodien ? Il n'empêche. Le soir venu, on ne se couche pas si tranquille. C'est sans doute parce que notre raison faiblit, après toutes ces manoeuvres que nous l'avons obligée à faire...
C'est malin : je commence par les bons voeux, je termine par l'apocalypse. Allez, je vous souhaite quand même une chose, c'est d'avoir l'occasion, en 2012, de botter le cul de ceux qui ne croient pas en l'arrivée de 2013 ! Et faites passer le mot...
Et bonne année !