vendredi 16 mars 2012

Pennac or not Pennac ?


Il y a quelques semaines, zappant sur France 5 avec l’intention de jeter un œil sur « La Grande Librairie » (émission que je n’aime pas du tout mais que je me crois obligée à suivre par « conscience professionnelle »), je découvris, non sans plaisir, que l’un de mes auteurs favoris y était invité. Toutes affaires cessantes, je fis taire compagnon et gamins, montai le son de la télé, et m’enfonçai profondément dans les coussins du canapé. Car c’était lui, il était là, l’écrivain chéri de mes années lycées, celui qui me fit découvrir Gadda, Maïakovsky et Fantasia chez les ploucs, celui qui fit du rôle si peu envié de bouc-émissaire l’une des fonctions les plus romanesques de la littérature française ! Oui, il était là : Daniel Pennac, le seul et l’unique, mais où était-il donc passé ? Nous nous étions un peu perdus de vue depuis l’excellent Dictateur et le hamac. A l’époque, encore étudiante et fort jeune, j’avais créé un site, embryon du blog depuis lequel je m’adresse à vous, où j’avais vanté les mérites de ce roman-là, et de tous ceux qui l’avaient précédé.
Enfin, après toutes ces années d’absence, il venait frapper à ma porte : un peu vieilli, mais arborant toujours ce doux sourire d’instituteur à la républicaine, avec dans les mains le livre couleur crème qui l’avait retenu si loin de moi : Journal d’un corps. Les carnets intimes d’un homme qui, depuis l’âge de treize ans jusqu’au jour de sa mort, décrit son existence, ses rencontres, ses amours, ses douleurs, par le prisme si particulier de son véhicule organique. Une gageure littéraire, à n’en pas douter, et qui trouvait justement sa place dans la génération « autofiction » défendue par un grand nombre d’auteur hexagonaux. D’où sa présence dans l’émission de François Busnel où se croisent habituellement nombre de protégés de la mafia de Philippe Sollers. Une première fois, il me fallut donc me rassurer : Daniel Pennac n’est ni Camille Laurens, ni Virginie Despentes, et bien qu’il soit entré depuis longtemps dans l’écurie Gallimard, il a toujours su se distinguer, par son inventivité et ses prouesses stylistiques, de la « masse laborieuse » estampillée NRF. Mais alors, que penser de ce virage littéraire de la part du génial inventeur de la clique Malaussène ? Mon affection pour l’auteur me dictait la méfiance, et la nécessité de feuilleter d’abord le nouvel ouvrage avant d’amorcer mon deuil. Ceux qui me connaissent n’ont pas oublié l’horreur que m’inspire ce genre de récit auto-centré (à compter que Journal d’un corps en fasse partie), partant de rien pour n’aller nulle part sinon, comme cela a souvent été le cas, au jackpot littéraire (il faut bien vivre).
Tout cela était donc bien mal engagé. Au bonheur des retrouvailles succédait un étonnement teinté de déception : quoi, vous aussi ? Comme ça, ils vous ont eu ? Non, non, ce n’était pas possible. Il me fallait vérifier par moi-même ce que M. Busnel avait osé suggérer sans le dire : que Daniel Pennac, privé du feu qui l’animait jadis, avait basculé dans la facilité bleu blanc rouge (nous seuls en avons le secret). Une chronique de Nicolas Bedos dans Marianne me donne un peu de baume au cœur : on retrouve, d’après lui, toute la saveur des Pennac d’antan, et cette plume incroyablement habile qui a toujours su écrire comme nous aimerions penser. D’autres critiques, glanées sur la toile, corroborent cet avis enthousiaste, et c’est pleine d’espoir que je pénètre une librairie ponote (répétez cette phrase dix fois, le plus vite possible), et me dirige vers la table des nouveautés. Le Journal d’un corps s’y trouve en bonne place, je me saisis d’un exemplaire que je tourne, retourne et soupèse, avant d’en parcourir l’incipit d’un œil fiévreux. Je poursuis ma lecture parcellaire, sautant les pages, amorçant la lecture des chapitres suivant, pistant l’odeur du Pennac que je connais et que j’admire. En vain. Je ne retrouve ni la drôlerie fantasque de l’épopée Malaussène, ni les audaces narratives du Dictateur. Le roman aurait tout aussi bien pu être écrit par un autre ; peut-être alors l’aurais-je trouvé excellent, mais le nom de l’écrivain sur la première de couverture a mis fin à la possibilité d’une découverte. C’est Pennac, mais ce n’est pas Pennac, il ne m’en faut pas plus pour reposer le livre sur le dessus de la pile et rebrousser chemin. Je ne lirai pas son Journal.
Tout cela, je ne vous le raconte pas sans une certaine honte : ne serais-je qu’une vulgaire groupie, pas plus indulgente que ces lectrices de Conan Doyle qui enterrèrent le malheureux sous les lettres de protestations et d’insultes lorsqu’il lui prit le désir d’assassiner Sherlock ? Possible, et je n’en retire aucune fierté. Mon attachement envers certains auteurs me pousse souvent dans la voie de la tyrannie. Pennac m’a trahie. Mais Pennac a eu raison : personne n’a le droit de dicter à un créateur l’objet de sa création, surtout pas une lectrice un peu bornée refusant de sacrifier un peu de sa routine. C’est pourquoi je lui souhaite, en dépit de mon chagrin, tout le succès du monde. Pour devenir ce qu'il est, comme dirait Nietzsche, il n'a vraiment pas besoin de mes avis.

PS : Suis-je condamnée, à chaque édito, à parler des livres que je ne lirai pas, et des raisons qui motivent mon dédain ? Nom d’un Naulleau, il va me falloir briser ce systématisme !

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