Il y a
quelques semaines, zappant sur France 5 avec l’intention de jeter un œil sur
« La Grande Librairie » (émission que je n’aime pas du tout mais que
je me crois obligée à suivre par « conscience professionnelle »), je
découvris, non sans plaisir, que l’un de mes auteurs favoris y était invité. Toutes
affaires cessantes, je fis taire compagnon et gamins, montai le son de la télé,
et m’enfonçai profondément dans les coussins du canapé. Car c’était lui, il
était là, l’écrivain chéri de mes années lycées, celui qui me fit découvrir
Gadda, Maïakovsky et Fantasia chez les
ploucs, celui qui fit du rôle si peu envié de bouc-émissaire l’une des
fonctions les plus romanesques de la littérature française ! Oui, il était
là : Daniel Pennac, le seul et l’unique, mais où était-il donc
passé ? Nous nous étions un peu perdus de vue depuis l’excellent Dictateur et le hamac. A l’époque, encore
étudiante et fort jeune, j’avais créé un site, embryon du blog depuis lequel je
m’adresse à vous, où j’avais vanté les mérites de ce roman-là, et de tous ceux
qui l’avaient précédé.
Enfin, après
toutes ces années d’absence, il venait frapper à ma porte : un peu vieilli,
mais arborant toujours ce doux sourire d’instituteur à la républicaine, avec
dans les mains le livre couleur crème qui l’avait retenu si loin de moi : Journal d’un corps. Les carnets intimes
d’un homme qui, depuis l’âge de treize ans jusqu’au jour de sa mort, décrit son
existence, ses rencontres, ses amours, ses douleurs, par le prisme si
particulier de son véhicule organique. Une gageure littéraire, à n’en pas
douter, et qui trouvait justement sa place dans la génération
« autofiction » défendue par un grand nombre d’auteur hexagonaux.
D’où sa présence dans l’émission de François Busnel où se croisent
habituellement nombre de protégés de la mafia de Philippe Sollers. Une première
fois, il me fallut donc me rassurer : Daniel Pennac n’est ni Camille
Laurens, ni Virginie Despentes, et bien qu’il soit entré depuis longtemps dans
l’écurie Gallimard, il a toujours su se distinguer, par son inventivité et ses
prouesses stylistiques, de la « masse laborieuse » estampillée NRF.
Mais alors, que penser de ce virage littéraire de la part du génial inventeur
de la clique Malaussène ? Mon affection pour l’auteur me dictait la méfiance,
et la nécessité de feuilleter d’abord le nouvel ouvrage avant d’amorcer mon
deuil. Ceux qui me connaissent n’ont pas oublié l’horreur que m’inspire ce
genre de récit auto-centré (à compter que Journal
d’un corps en fasse partie), partant de rien pour n’aller nulle part sinon,
comme cela a souvent été le cas, au jackpot littéraire (il faut bien vivre).
Tout cela
était donc bien mal engagé. Au bonheur des retrouvailles succédait un
étonnement teinté de déception : quoi, vous aussi ? Comme ça, ils
vous ont eu ? Non, non, ce n’était pas possible. Il me fallait vérifier
par moi-même ce que M. Busnel avait osé suggérer sans le dire : que Daniel
Pennac, privé du feu qui l’animait jadis, avait basculé dans la facilité bleu
blanc rouge (nous seuls en avons le secret). Une chronique de Nicolas Bedos
dans Marianne me donne un peu de
baume au cœur : on retrouve, d’après lui, toute la saveur des Pennac
d’antan, et cette plume incroyablement habile qui a toujours su écrire comme
nous aimerions penser. D’autres critiques, glanées sur la toile, corroborent
cet avis enthousiaste, et c’est pleine d’espoir que je pénètre une librairie
ponote (répétez cette phrase dix fois, le plus vite possible), et me dirige
vers la table des nouveautés. Le Journal
d’un corps s’y trouve en bonne place, je me saisis d’un exemplaire que je
tourne, retourne et soupèse, avant d’en parcourir l’incipit d’un œil fiévreux.
Je poursuis ma lecture parcellaire, sautant les pages, amorçant la lecture des
chapitres suivant, pistant l’odeur du Pennac que je connais et que j’admire. En
vain. Je ne retrouve ni la drôlerie fantasque de l’épopée Malaussène, ni les
audaces narratives du Dictateur. Le
roman aurait tout aussi bien pu être écrit par un autre ; peut-être alors
l’aurais-je trouvé excellent, mais le nom de l’écrivain sur la première de
couverture a mis fin à la possibilité d’une découverte. C’est Pennac, mais ce
n’est pas Pennac, il ne m’en faut pas plus pour reposer le livre sur le dessus
de la pile et rebrousser chemin. Je ne lirai pas son Journal.
Tout cela, je
ne vous le raconte pas sans une certaine honte : ne serais-je qu’une
vulgaire groupie, pas plus indulgente que ces lectrices de Conan Doyle qui
enterrèrent le malheureux sous les lettres de protestations et d’insultes
lorsqu’il lui prit le désir d’assassiner Sherlock ? Possible, et je n’en
retire aucune fierté. Mon attachement envers certains auteurs me pousse souvent
dans la voie de la tyrannie. Pennac m’a trahie. Mais Pennac a eu raison :
personne n’a le droit de dicter à un créateur l’objet de sa création, surtout
pas une lectrice un peu bornée refusant de sacrifier un peu de sa routine. C’est
pourquoi je lui souhaite, en dépit de mon chagrin, tout le succès du monde. Pour devenir ce qu'il est, comme dirait Nietzsche, il n'a vraiment pas besoin de mes avis.
PS :
Suis-je condamnée, à chaque édito, à parler des livres que je ne lirai pas, et
des raisons qui motivent mon dédain ? Nom d’un Naulleau, il va me falloir
briser ce systématisme !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire