vendredi 9 mars 2012

Modernité, Italo Svevo


            Il est l’un des plus grands auteurs italiens du XXe siècle, romancier peu prolixe mais génial, ayant entre autres laissé à la postérité le formidable Conscience de Zeno. Mais il fut également le contributeur régulier de la presse triestine, qu’il alimenta de chroniques aussi légères que clairvoyantes, empreintes de cette douce ironie qui caractérisait son regard sur toute chose. De 1890 jusque dans les années 1920, c’est en témoin privilégié de la reconstruction de la vieille Europe qu’il s’impose : pour le journal La Nazione, il rédige chroniques et billets d’humeur, inspiré par les scènes de vie londonnienne auxquelles il assiste au cours de ses nombreux déplacement dans la capitale britannique. British kindness et poussées nationalistes, conflit anglo-irlandais et irruption des « teuf-teuf » dans le paysage urbain, terrorisme contestataire et artistes contestés, tout lui est prétexte à une analyse des nouveaux enjeux des années post-14-18 : révolution industrielle et culturelle, xénophobie ordinaire et fierté patriotique, ouverture de l’Europe sur le monde, influence du modèle américain… Tous sujets traités avec une lucidité bienveillante d’éternel voyageur, sans jamais cependant se départir d’une volonté d’analyse géopolitique qui dépasse la simple narration des anecdotes vécues au cours de ses voyages dans la « perfide Albion ».
         Car le regard d’Italo Svevo (né Ettore Schmitz, il choisit le pseudonyme d’Italo Svevo pour rappeler sa double origine italienne et souabe) n’est pas seulement celui de l’observateur amusé et quelque peu mondain : le théâtre de Londres lui offre l’opportunité d’exercer son esprit d’analyse sur les événements qui se déroulent également dans son propre pays, comme il est justement rappelé dans l’introduction du recueil de ses chroniques publié en France aux éditions Finitude. De même, les pages évoquant le conflit séculaire opposant l’empire britannique à l’un de ses dominions rebelles, l’Irlande, furent sans doute inspirées par ses conversations avec son ami James Joyce, et si ces épisodes sanglants sont chroniqués de la plume légère et caustique qui lui est habituelle, ils ne sont pas moins empreints de son esprit humaniste libertaire.
            A travers les écrits de Svevo journaliste nous apparaît dans toute sa complexité un monde déjà ancien, ruiné par la guerre, déstabilisé par les innombrables progrès techniques, culturels et politiques qui furent aussi une conséquence de 14-18. Et c’est en gentleman qu’il rédige tout cela, bien loin du journalisme en quête de sensationnel que nous connaissons aujourd’hui, aux frontières du reportage choc et du reality-show scénarisé. C’est pourquoi, comme l’affirme David Caviglioli pour Le Nouvel Observateur : «Ces papiers, on devrait les étudier dans les écoles de journalisme».

            Modernité, Italo Svevo, chroniques traduites et présentées par Dino Nessuno, éditions Finitude, 2011.

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