Il
est l’un des plus grands auteurs italiens du XXe siècle, romancier peu prolixe
mais génial, ayant entre autres laissé à la postérité le formidable Conscience de Zeno. Mais il fut
également le contributeur régulier de la presse triestine, qu’il alimenta de
chroniques aussi légères que clairvoyantes, empreintes de cette douce ironie
qui caractérisait son regard sur toute chose. De 1890 jusque dans les années
1920, c’est en témoin privilégié de la reconstruction de la vieille Europe
qu’il s’impose : pour le journal La
Nazione, il rédige chroniques et billets d’humeur, inspiré par les scènes
de vie londonnienne auxquelles il assiste au cours de ses nombreux déplacement
dans la capitale britannique. British
kindness et poussées nationalistes,
conflit anglo-irlandais et irruption des « teuf-teuf » dans le
paysage urbain, terrorisme contestataire et artistes contestés, tout lui est
prétexte à une analyse des nouveaux enjeux des années post-14-18 :
révolution industrielle et culturelle, xénophobie ordinaire et fierté
patriotique, ouverture de l’Europe sur le monde, influence du modèle américain…
Tous sujets traités avec une lucidité bienveillante d’éternel voyageur, sans
jamais cependant se départir d’une volonté d’analyse géopolitique qui dépasse la
simple narration des anecdotes vécues au cours de ses voyages dans la
« perfide Albion ».
Car
le regard d’Italo Svevo (né Ettore Schmitz, il choisit le pseudonyme d’Italo
Svevo pour rappeler sa double origine italienne et souabe) n’est pas seulement
celui de l’observateur amusé et quelque peu mondain : le théâtre de
Londres lui offre l’opportunité d’exercer son esprit d’analyse sur les
événements qui se déroulent également dans son propre pays, comme il est
justement rappelé dans l’introduction du recueil de ses chroniques publié en
France aux éditions Finitude. De même, les pages évoquant le conflit séculaire
opposant l’empire britannique à l’un de ses dominions rebelles, l’Irlande,
furent sans doute inspirées par ses conversations avec son ami James Joyce, et
si ces épisodes sanglants sont chroniqués de la plume légère et caustique qui
lui est habituelle, ils ne sont pas moins empreints de son esprit humaniste libertaire.
A
travers les écrits de Svevo journaliste nous apparaît dans toute sa complexité
un monde déjà ancien, ruiné par la guerre, déstabilisé par les innombrables
progrès techniques, culturels et politiques qui furent aussi une conséquence de
14-18. Et c’est en gentleman qu’il rédige tout cela, bien loin du journalisme
en quête de sensationnel que nous connaissons aujourd’hui, aux frontières du
reportage choc et du reality-show scénarisé. C’est pourquoi, comme l’affirme
David Caviglioli pour Le Nouvel Observateur : «Ces papiers, on devrait
les étudier dans les écoles de journalisme».
Modernité, Italo Svevo, chroniques
traduites et présentées par Dino Nessuno, éditions Finitude, 2011.
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